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L'actualité brésilienne en 1994

Au terme d'une campagne qualifiée de «rasoir» par les analystes politiques, le Brésil s'est donné, dès le premier tour du scrutin présidentiel, à un glorieux orphelin du socialisme tardivement converti aux charmes de la loi du marché. Fernando Henrique Cardoso a été plébiscité pour avoir terrassé l'hyperinflation. Le Brésilien de la rue lui en donnera volontiers quitus. Mais le monde des affaires et la grande industrie ont surtout salué la défaite du candidat de la gauche. De la capacité du nouveau président à gérer ce hiatus dépendra l'avenir du «plan real», et le redressement d'une économie exsangue.

Victoire de l'outsider À l'issue d'une campagne électorale bouleversée par le plan gouvernemental anti-inflationniste, dit «plan real», et au terme d'un mandat présidentiel commencé par Fernando Collor de Melo - démis pour délit de forfaiture par le Congrès en 1992 - et terminé par Itamar Franco, 90 millions d'électeurs se sont prononcés en faveur de l'artisan du «plan real».

Pourtant, le premier semestre 1994 a vu se poursuivre les révélations de cas de corruption, de pots-de-vin, de trafics d'influence témoignant que, en dépit de l'impeachment de Fernando Collor, la classe politique n'en avait pas fini avec les pratiques douteuses. Aussi, la désignation des candidats à la présidence et les intentions de vote en leur faveur se sont trouvées modifiées par le mécontentement suscité par les scandales. Le candidat du Parti des travailleurs (PT, gauche radicale), Luis Inacio Lula da Silva (dit «Lula»), jouissant d'une image d'intégrité, était donné vainqueur au second tour quel que soit son adversaire (sondage du mois de février). C'est pourquoi, nombre de clans conservateurs, craignant que sa victoire n'entraîne l'adoption de réformes structurelles (fiscale, agraire, foncière et judiciaire), avaient choisi d'élargir leur alliance. Deux formations aux électorats complémentaires se sont donc alliées: le Parti du front libéral (PFL) et le parti social-démocrate brésilien (PSDB), aux caciques reconvertis dans l'économie de marché. Une stratégie qui s'est révélée payante, Cardoso ayant été élu avec 54,3 % des suffrages exprimés, contre 27 % à Lula.

Cardoso a donc rapidement réussi à combler son handicap par rapport à Lula. L'explication de cette surprenante «remontée» ne réside pas dans une prétendue spécificité brésilienne, quelque chose comme un cocktail alliant légèreté, inconstance et pusillanimité, le tout sur fond de salsa. C'est plutôt du contraire qu'il s'agit. Quatre mois avant le scrutin, les Brésiliens, dont près de la moitié vivent en dessous du seuil de pauvreté, subissaient le calvaire de l'hyperinflation. Les prix augmentaient au rythme de 50 % par mois, enrichissant les plus riches, condamnant les plus pauvres à une obsédante précarité, délégitimisant toute idée d'État de droit. Ainsi, c'est dans ce contexte explosif que Henrique Cardoso, alors ministre des Finances, décida de rompre le cycle infernal.

Le « plan real » La recette est désormais connue. Pour casser l'inflation galopante, l'État doit cesser de créer de la monnaie à tout moment. Pourtant, un pays comme le Brésil n'en est pas à son premier plan de stabilisation économique: le real n'est-il pas la trente-huitième monnaie du pays En quatre ans, le Brésil a usé pas moins de 7 ministres des Finances, 3 monnaies et 2 plans de «choc». Le 1er juillet, le gouvernement a lancé le plan real. Il s'agit alors, comme d'habitude, de rétablir la crédibilité de la monnaie. Cardoso a donc remplacé le cruzeiro, monnaie morte, par le real, qui signifie à la fois «réel» et «royal». La valeur du real a été fixée à 1 dollar (soit 2.750 cruzeiros), et le gouvernement s'est engagé à tenir cette parité. Puis il a vendu son nouveau produit monétaire avec les moyens de communication modernes: pendant plusieurs semaines, la télévision a littéralement matraqué les Brésiliens, leur vantant la solidité de la nouvelle monnaie. De leurs côtés, les milieux d'affaires ont donné un sérieux coup de pouce politique à «leur» candidat Cardoso: ils se sont engagés à retenir leurs prix jusqu'aux élections. Derrière la vitrine médiatique, des mesures beaucoup plus techniques ont été arrêtées: désindexation des salaires et des prix pour casser les spirales inflationnistes, réduction des obstacles à l'importation pour favoriser la concurrence, réduction des déficits budgétaires pour ne pas céder à la tentation de faire tourner la planche à billets. Résultat, l'inflation est tombée presque du jour au lendemain à moins de 2 % par mois. Certes, les Brésiliens ne gagnent pas plus pour autant, mais ils perdent moins, de pouvoir d'achat, mais aussi moins de temps à se prémunir contre la hausse incessante des prix. Comment, dans ces conditions, n'auraient-ils pas voté en masse pour l'auteur de ce miracle ?

Le phénomène Cardoso a, de plus, été amplifié par la personnalité de celui qui l'incarne: ce sociologue de soixante-trois ans, qui se veut toujours social-démocrate, même s'il a contracté certaines alliances avec la droite ultralibérale, ne s'est jamais compromis avec la dictature des années 1964-1985, qui le pria d'aller enseigner ailleurs. Il a aussi gardé ses distances avec Fernando Collor, chassé par un establishment politique tout aussi corrompu que lui mais pas fâché de se dédouaner à bon compte. Mais la partie n'est pas encore gagnée pour Cardoso. Les réformes structurelles prévues par le plan real en vue d'assainir l'économie (amaigrissement du secteur public, suppression des monopoles, réforme de la fiscalité…) n'ont toujours pas été mises en chantier. Une fois les élections passées, les pressions risquent d'être très difficiles à maîtriser pour le nouvel homme fort du Brésil. Les travailleurs souffrent de la désindexation de leur salaire - les métallurgistes de São Paulo et les ouvriers du secteur automobile étaient on grève dix jours avant le scrutin -, les exportateurs pâtissent du real fort - avec l'afflux des capitaux, sa valeur dépasse de 15 % celle du dollar -, les paysans ont connu une sécheresse, et les banquiers, qui étaient les premiers à tirer profit, au sens propre du terme, de l'inflation, voient d'un mauvais œil les succès du plan real. On l'aura compris, le principal problème pour Cardoso réside maintenant dans cet establishment trop heureux d'avoir évité le grand chambardement. Et très vite, la pause inflationniste pourrait se révéler n'avoir été qu'une trêve électorale.

© Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2002

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