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L'actualité brésilienne en 1995

Année de tous les dangers pour le Brésil, qui, n'entendant pas subir le sort du Mexique, s'est employé à convaincre la communauté financière internationale de l'orthodoxie de sa politique économique et monétaire tout en se prémunissant d'une trop grande perméabilité aux allées et venues des capitaux étrangers. Sous la houlette du président Fernando Henrique Cardoso, la nouvelle équipe gouvernementale a semblé avoir les moyens de convaincre.

Convaincre Wall Street À la veille de la visite à Washington du président Cardoso (19-23 avril 1995), la presse américaine, sans doute séduite par un chef d'État capable de défendre un credo néolibéral dans un anglais irréprochable, ne tarissait pas d'éloges à l'égard du «magicien» du «plan real». Inscrit jusqu'en 1978 sur la liste noire des sympathisants communistes, et donc indésirable en territoire américain, le président brésilien s'était fixé pour sa première sortie diplomatique hors des frontières sud-américaines une mission éminemment pédagogique: convaincre ses interlocuteurs que «le Brésil n'est pas le Mexique». Une antienne en vogue à Brasilia depuis que la chute du peso mexicain, intervenue fin décembre 1994, a propagé son onde de choc aux principales monnaies du sous-continent.

En cette année du cinquantenaire de l'Organisation des Nations unies, le président brésilien entendait exprimer son point de vue sur les dossiers concernant le fonctionnement de deux des principaux organismes internationaux. Le Brésil revendique en effet, d'une part, un siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU, de l'autre, une reformulation du rôle du Fonds monétaire international, à qui incomberait la future mission de réguler les flux financiers mondiaux, dont l'extrême volatilité s'est révélée dramatique pour le Mexique et menace les économies brésilienne et argentine.

Déjà, lors d'un voyage en Uruguay, le président Cardoso avait déploré l'absence de mécanismes internationaux de contrôle sur les mouvements de capitaux volatils. En attendant que la proposition du prix Nobel américain d'économie, James Tobin, de taxer les transactions en devises fasse son chemin dans les arcanes de la diplomatie planétaire, Fernando Henrique Cardoso s'est efforcé – l'urgence existe bel et bien compte tenu du volume alarmant de capitaux étrangers retirés depuis le début de l'année 1995 du Brésil – de persuader les milieux d'affaires de Wall Street que le «Brésil n'est plus le pays du futur mais celui du présent». Mais les professions de foi du président à usage externe ont eu quelques difficultés à s'accommoder des contingences domestiques. Les réformes économiques, pourtant jugées vitales par Fernando Henrique Cardoso, telles que la «flexibilisation» des monopoles d'État du pétrole et des télécommunications et la levée des entraves aux investissements étrangers dans le secteur minier, ont rencontré des résistances plus fortes que prévu au Parlement de Brasilia. Autre déconvenue pour Cardoso: la signature du contrat de 7 milliards de francs – remporté par la firme américaine Raytheon – pour l'achat de radars destinés à la surveillance de l'Amazonie était toujours en souffrance en raison de fraudes fiscales imputées par l'opposition à la société Esca, partenaire brésilien de la firme américaine d'armement.

Éviter le sort du Mexique La crise mexicaine a sans doute éclaté à point nommé pour donner l'alerte au Brésil au moment où le nouveau gouvernement se mettait en place. Quelques jours après son entrée en fonction, le 1er janvier 1995, le président Cardoso a nommé le sénateur José Serra ministre de la Planification. Ce dernier a acquis la réputation d'être un ardent défenseur des intérêts de l'industrie brésilienne, menacée par la concurrence étrangère en cas d'ouverture trop brutale et trop peu sélective de l'économie. En renégociant dans le cadre de la chambre sectorielle de l'industrie automobile le pacte tripartite entre constructeurs, syndicats et représentants de l'État, le nouveau gouvernement a clairement montré que le Brésil voulait éviter de tomber dans le piège d'une ouverture excessive de l'économie, et, ce qui est le plus important, qu'il a les moyens de cette politique: le relèvement des tarifs douaniers imposés aux voitures importées a constitué en effet un geste significatif dans la mesure où il va contre l'esprit des accords du GATT signés à Marrakech.

Au-delà de l'exemple de l'industrie automobile, la mise en place de chambres sectorielles tripartites au Brésil constitue une innovation qui pourrait se révéler capitale dans la planification des «économies négociées», une formule selon laquelle la négociation entre les partenaires sociaux devient une pratique institutionnelle essentielle.

De tous les pays d'Amérique latine, le Brésil semble le mieux placé pour lancer dans ce domaine une expérience pionnière. En effet, il affronte les marchés financiers dans de bien meilleures conditions que le Mexique, comme en témoignent ses fortes réserves en devises (quelque 40 milliards de dollars), sa croissance (5,7 %) et la réduction de l'inflation (25 % entre juillet 1994 et avril 1995). Ce qui, d'ailleurs, a entraîné une forte augmentation des achats de biens durables, provoquant un surendettement de la population.

Par ailleurs, le Brésil a dégagé un excédent commercial de 2 milliards de dollars au mois de juillet. Bien que ce montant puisse apparaître comme dérisoire, il a marqué un changement de tendance important, car, depuis novembre 1994, la balance commerciale avait accusé de lourds déficits. Traditionnellement exportateur, le Brésil avait ouvert brutalement ses frontières pour juguler l'inflation dans le cadre du «plan real» mis on œuvre en juillet 1994; le boom des importations ne s'est pas fait attendre: au cours du premier semestre 1995, le déficit était de 4,26 milliards de dollars. D'après la Gazeta Mercantil, le résultat de la balance commerciale a surpris les spécialistes du gouvernement, qui s'attendaient à un déficit de l'ordre de 300 millions de dollars.

Mais rien n'est acquis, et le gouvernement a dû éviter la surévaluation de la monnaie, qui, jusqu'au mois de mars, s'échangeait à raison de 83 centièmes de real pour un dollar, alors que l'idée initiale du «plan real» était la parité entre le real et le dollar. Un premier pas a été fait le 5 mars dans le sens d'une politique des changes plus flexible. En intervenant sur le marché des changes, la Banque centrale a maintenu le real dans une fourchette comprise entre 86 et 90 centimes pour un dollar, jusqu'au 1er mai, et de 86 à 98 centimes ensuite. Cette dévaluation s'est toutefois révélée trop timide en raison des attaques subies par le real, et cela en dépit des très nombreuses interventions de la Banque centrale, qui aurait vendu 5 milliards de dollars – en grande partie récupérés depuis. Trois jours plus tard, une troisième dévaluation fut annoncée, le real devant osciller entre 80 et 93 centimes pour un dollar. À la suite de cette nouvelle dévaluation, le marché paraissait devoir se calmer.

D'autre part, le Brésil doit trouver les moyens de se protéger des allées et venues intempestives de capitaux étrangers uniquement motivés par la spéculation, tout en favorisant les investissements directs. Selon toute évidence, le Brésil entend équilibrer les deux pôles de cette problématique paradoxale en utilisant le régime fiscal national, comme l'a fait le Chili, principalement en réduisant les taux d'intérêt réels; l'idée sous-jacente est qu'une politique restrictive imposée à la circulation des capitaux étrangers ne contrarie pas nécessairement une croissance élevée et l'intégration dans l'économie nationale.

Le Brésil semble donc pouvoir éviter le sort du Mexique, et la nouvelle équipe a compris là où se situaient les dangers. De ce point de vue, le contraste avec l'Argentine est manifeste. Le FMI a en effet proposé à Buenos Aires un crédit de 2,4 milliards de dollars assorti de conditions draconiennes pour ce qui est de l'ajustement fiscal: impôts additionnels de 3,5 milliards de dollars et réduction des dépenses publiques de 1 milliard de dollars. Dans la mesure où les échanges entre les deux pays dans le cadre de l'accord de coopération régionale Mercosur sont très importants, un effondrement de l'économie argentine se révélerait dramatique pour le Brésil. Si l'on prête volontiers au président brésilien l'intention de voler au secours de l'économie argentine, il est permis de douter de l'efficacité d'un tel secours.

© Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2002

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