Accueil

L'actualité cubaine en 1999

L'année 1999 marque une étape importante de la reconversion de l'économie cubaine engagée depuis 1993, qui a permis, à partir de 1996, une reprise réelle mais encore fragile de l'activité. La croissance annoncée du PIB de 6,2 % pour 1999 dépasse largement les prévisions (+ 2,5 %) et constitue une bonne performance après les résultats décevants de 1998 (1,2 % contre 2,5 % prévus) dus à la baisse du prix des matières premières (nickel et sucre) et à une récolte sucrière retombée à son plus bas niveau historique de 1995 (3,2 millions de tonnes). Cependant, la persistance des difficultés financières et le maintien de l'embargo américain, renforcé par les lois Toricelli et Helms-Burton, posent avec acuité les questions de la couverture énergétique et alimentaire du pays, comme celle de la réorganisation de ses structures économiques.
Une reprise économique encore fragile Les bonnes performances de 1999 s'expliquent d'abord par l'accroissement plus important que prévu de la productivité du travail, point noir de l'économie nationale depuis des années, par des investissements plus rentables, en particulier dans le tourisme, et par la diminution du coût de la consommation énergétique (d'autant plus significative qu'elle est allée de pair avec la hausse récente du prix du pétrole). Ainsi l'industrie sucrière, dernier secteur important à sortir du rouge (3,8 millions de tonnes, soit 500.000 tonnes de plus qu'en 1998) grâce à une sévère politique de concentration (en dix ans, le nombre de sucreries a été ramené de 150 à 42) et de modernisation financée par des investissements étrangers, a réduit de 22 % ses coûts de production. Les résultats encourageants de l'extraction pétrolière (2 millions de tonnes) et de l'exploitation des mines de nickel (73.000 tonnes) ont également contribué à la croissance; en outre, avec l'essor de la production de gaz (450 millions de m3 extraits auxquels s'ajoute la récupération des raffineries) et la modernisation en cours des centrales thermiques, la production électrique est réalisée pour 40 % avec des intrants nationaux. Sans surprise, le tourisme, qui représente avec le commerce plus du tiers du PIB, reste le moteur de l'économie: Cuba a reçu cette année 1.650.000 visiteurs (+ 16,5 %) qui ont apporté près de 850 millions de dollars US (+ 11 %) de recettes en devises.
Les progrès de la production alimentaire et des biens de consommation courants améliorent globalement, mais en réalité de manière différenciée, l'ordinaire de la population. La majorité des investissements vont vers les produits vendus en devises, alors que l'approvisionnement de la population en produits de première nécessité (cultures bananières et rizicoles) achetés en monnaie nationale sur les marchés libres et subventionnés, tout en s'améliorant, ne couvrent que partiellement les besoins de base, et guère plus de la moitié des besoins caloriques journaliers. En outre, après la chute dramatique du pouvoir d'achat, divisé par dix entre 1989 et 1994, la part croissante des revenus en dollars aggrave les différences de niveau de vie entre les foyers, malgré les hausses de salaires (30 %) qui viennent d'être consenties en faveur des personnels de la santé, de l'éducation (pour limiter les départs vers les secteurs mixte, indépendant et informel) et de la police (qui disposera de moyens accrus pour lutter contre la petite délinquance néfaste au tourisme); et malgré la distribution de bons d'achat en devises destiné à récompenser plus d'un million de travailleurs méritants de l'État. Grâce à l'argent de l'exil et de l'émigration (évalué à 1 milliard de dollars), aux revenus licites du tourisme et autres sociétés mixtes, ou illicites du secteur informel et aux petits métiers indépendants (les plus lucratifs sont liés au tourisme: taxis, petits restaurants privés, loueurs de chambres, etc.), c'est bien plus de la moitié de la population qui aurait ainsi accès aux devises.
Le maintien de l'embargo américain L'accès restreint aux crédits internationaux reste le principal frein à la reprise économique et creuse le déficit du commerce extérieur qui s'élève à 2 milliards de dollars. Le surcoût minimum de l'embargo a été évalué à plus de 800 millions de dollars et la dette extérieure est passée cette année de 10,4 à 11,2 milliards de dollars, même si le solde négatif de la balance des paiements a diminué. L'obtention de lignes de crédits supplémentaires achoppe sur la question de la renégociation de la dette au niveau bilatéral, notamment avec l'Espagne et la France, respectivement premier et troisième fournisseurs (13 % et 7 % des importations cubaines en 1998), et du Club de Paris.
Par ailleurs, les pressions exercées par les États-Unis, en application de la loi Helms Burton, sur les chaînes touristiques investissant dans l'île (Melia, Club Med et LTI après celles dont a été victime le trust canadien du nickel Sherritt) sont pour le moment contrecarrées par l'Union européenne qui menace de d'attaquer cette loi devant l'OMC en raison de son caractère extraterritorial. Et, même aux États-Unis, différents groupes de pression (comme ceux de l'agroalimentaire) ne cessent de réclamer une levée partielle de l'embargo, sans résultat concret jusqu'alors, hormis la reprise discrète de quelques vols directs à destination de Cuba. Les visites américaines à La Havane se sont multipliées: élus nationaux (le chef de file de la minorité démocrate au Sénat, Tom Daschle, en août, George Ryan, gouverneur républicain de l'Illinois en octobre), entrepreneurs (Tom Donohue, président de la chambre de commerce, en juillet), spécialistes du commerce, sportifs de haut niveau, intellectuels, représentant des Églises… En juin, s'est tenue à Cancun la troisième rencontre entre des chefs d'entreprises américains et une délégation cubaine. Au-delà des milieux économiques, l'efficacité même de l'embargo comme moyen de pression est souvent remise en cause. Les discussions se sont poursuivies sur un possible assouplissement, qui aurait le soutien du président Clinton. Elles n'ont pas abouti à cause de l'opposition des groupes anti-castristes de Miami, et notamment de la Fondation nationale cubano-américaine. Le Sénat a cependant adopté en août un amendement à un projet de loi sur l'agriculture autorisant les exportations vers Cuba d'aliments et de médicaments. Mais le vote de la Chambre des Représentants sera sans doute plus difficile à obtenir: son président Dennis Hastert, leader des républicains, est opposé à toute modification de la politique d'embargo.
À Cuba, les autorités continuent de dénoncer l'attitude hostile des États Unis: au cours de l'été, une grande campagne a été organisée autour de la plainte déposée par les syndicats et les organisations de masse pour obtenir réparation des dommages infligés aux victimes des différentes agressions commanditées par Washington depuis 1959.
Au plan international, l'Assemblée générale de Nations unies a condamné une fois de plus, et à une majorité encore plus importante, l'embargo contre Cuba. Fidel Castro a reçu le soutien des pays latino-américains lors de la tenue en novembre à La Havane du sommet Ibéro-américain, où l'on comptait la présence de 18 chefs d'État (4 pays seulement n'avaient envoyé que leur ministre des Affaires étrangères), et, pour la première fois, du roi d'Espagne. La candidature de Cuba à la convention de Lomé a également été acceptée sans difficulté par les 71 pays du groupe des ACP.
Durcissement de la législation contre l'émigration clandestine Le drame de l'émigration clandestine (2.000 Cubains auraient tenté en 1999 de gagner les côtes de la Floride sur des embarcations de fortune) a connu un nouvel épisode avec l'aventure du petit Elvian, rescapé du naufrage au cours duquel sa mère a péri en essayant de fuir le régime castriste. Recueilli aux États-Unis et confié à la garde de parents éloignés, réclamé à Cuba par son père et ses grands-parents, il est devenu l'enjeu d'une campagne de presse et de mobilisation politique des deux côtés du détroit de Floride.
Un nouveau délit (trafic d'êtres humains) a été introduit dans le Code pénal cubain, pour lutter contre les passeurs qui vendent leur service aux candidats au départ. Des sanctions très sévères sont prévues, tout comme pour le vol, le proxénétisme, le trafic de drogue et le blanchiment de l'argent illicite. La peine de mort a été retenue pour les actes jugés particulièrement graves sur le plan humain tel que le viol de mineur.
Le dossier des droits de l'homme Cet alourdissement des peines, semble-t-il bien accueilli par la population, victime d'une petite délinquance en hausse et choquée par la prostitution et le trafic de drogues, a été très critiqué à l'extérieur de Cuba. D'autant que les députés votaient dans le même temps une loi qui sanctionne le délit de «collaboration avec l'ennemi» susceptible d'être appliquée à l'encontre de tout individu fournissant aux étrangers des informations jugées confidentielles. C'est en vertu de cette loi que, le 15 mars, quatre opposants cubains, dont la figure la plus connue est Vladimir Roca (fils du dirigeant communiste aujourd?hui décédé, Blas Roca), étaient condamnés pour «incitation à la sédition et collaboration avec l'ennemi» à des peines de 3 à 5 années de réclusion. à la suite de la publication en 1997 du texte «La patrie appartient à tous».
C'est en effet sur le respect des droits de l'homme que les critiques à l'égard des autorités cubaines ont été les plus nombreuses: la Commission des droits de l'homme de l'ONU a adopté, contrairement à l'année dernière, une motion condamnant la répression politique à Cuba. Les autorités américaines apportent leur soutien aux petits groupes d'opposants, et la rencontre avec certains de leurs porte-parole est presque devenu un rituel obligé pour les responsables politiques étrangers en visite à La Havane (d'un faible coût, il est vrai, pour les autorités cubaines, tant l'audience de ces opposants est faible à l'intérieur du pays, surtout en dehors de la capitale).
L'Église catholique a occupé les espaces que lui avait ouverts la visite de Jean Paul II en 1998: le rétablissement d'un jour férié à l'occasion de Noël et la retransmission de cérémonies religieuses à la télévision sont les symboles les plus visibles de cette reconquête, moins inquiétants pour le pouvoir que le prosélytisme croissant. L'attitude de la hiérarchie, jugée dans son ensemble plutôt conciliante à l'égard du régime, suscite la critique de certains de ses membres qui souhaiterait que l'Église s'engage en faveur de la dissidence. Lors de la prise fonction du nouvel ambassadeur cubain au Vatican en décembre, le Pape Jean-Paul II a rappelé l'importance de «l'ouverture et de la confiance» et le besoin de «sauvegarder les droits fondamentaux des personnes» pour que Cuba puisse obtenir l'aide financière de la communauté internationale; écho de l'approche conditionnelle habituelle aux puissances occidentales.

© Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2002

 L'actualité en 1994  -  1995  -  1996  -  1997  -  1998  -  1999  -  2000  -  2001 

Facebook